A Rennes, les deux hommes font la pluie et le beau temps du cinéma indépendant. Fruit d’un long travail et d’une passion pour l’image, l’autorité des frères Frétel est reconnue par tous :
« Ils sont inévitables. Ils ont construit la cinéphilie à Rennes. » reconnaît Eric Gouzannet, directeur général de l’association Clair-Obscur, qui organise le festival Travelling.
« J’ai beaucoup d’estime pour l’institution Arvor » confirme une autre figure du monde cinématographique rennais.
Pourtant, « peu de gens connaissent Jacques ». Anonyme pour le grand public, incontournable pour les initiés, Jacques Frétel est de ceux qui se font rares, distribuant les entretiens au compte-gouttes. Depuis son bureau du quatrième étage du Théâtre National de Bretagne, l’homme jongle entre ses deux casquettes : programmateur du ciné TNB et de l’Arvor, les deux cinémas d’Art et Essai de la ville. Marié, deux fils, Jacques Frétel peut parler du septième art pendant des heures avec un calme déconcertant. Une sorte de répertoire de l’Art et Essai qui donne l’impression d’avoir tout vu.
Même précaution dans l’expression et même passion chez Patrick Frétel, son frère jumeau. Lui aussi marié et père de deux enfants, il collectionne les fonctions comme son frère : président de l’Arvor, vice-président de la Sorédic, qui exploite le Cinéville Colombier, secrétaire général du Stade Rennais… L’homme se voit comme un « associatif convaincu » qui gère ses affaires à la manière d’un entrepreneur :
« Je gère toujours les structures que j’anime comme une entreprise. Même si l’Arvor est une association, il ne faut pas oublier que derrière il y a des salariés.
« Il y a une complémentarité avec Jacques, explique Patrick. Il a plus un côté artistique. Mon rôle c’est l’organisation, la gestion. »
La mainmise des Frétel sur le cinéma rennais
Dans les années 1970, Patrick devient bénévole à l’association Arvor. Il en sera le président à partir de 1981. Son frère Jacques devient le programmateur officiel la même année. Au fil du temps, les jumeaux ont imposé leurs règles du jeu à la mairie et aux acteurs de l’activité ciné à Rennes. Modeste loyer versé par l’Arvor à la Ville (motus sur le montant exact), proximité avec le reste du monde associatif et les cinémas commerciaux… Ce réseau et l’image de pionnier des deux hommes les placent sur un piédestal dont ils font mine de relativiser l’importance :
« On est modestement acteurs de la ville » explique Patrick Frétel.
Pourtant quiconque veut s’aventurer sur les terres de l’Art et Essai entend forcément parler de l’influence des jumeaux sur la question et doit croiser leur chemin. Qu’ils soient ciné-club, distributeurs ou cinéastes. Tantôt sous le titre de membre, fondateur, secrétaire ou administrateur, leur nom est partout :
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au Centre National du Cinéma (CNC)
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au Syndicat des Cinémas d’Art, de Répertoire et d’Essai (SCARE)
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à l’Association Française des Cinémas d’Art et d’Essai (AFCAE)
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à l’Association des Cinémas de l’Ouest pour la Recherche (ACOR)
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au Groupement National des Cinémas de Recherche (GNCR)
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à la Commission interrégionale d’Art et Essai
Côté programmation, même constat. Si Jacques Frétel décide seul des films diffusés dans les deux cinémas Art et Essai de la ville, le monopole de fait ne semble choquer personne. « C’est simplement une particularité locale» estime un collaborateur des jumeaux.
Mais une particularité qui permet aux frères de bénéficier d’un rayonnement chez les cinéphiles. En effet, « l’entreprise » Frétel ne connaît pas la crise. L’Arvor, rue d’Antrain, a enregistré 109 000 entrées en 2010, soit une fréquentation en hausse de 14%, et le Ciné TNB dépasse les 92 000 entrées (+17%).
Rue d’Antrain à l’Arvor justement, on ne commente pas. Contacté par le Master JRE, des salariés et bénévoles de l’Arvor n’ont pas souhaité répondre à nos questions. Un mutisme confirmé par un proche des frères Frétel : « On ne parle pas à l’Arvor » avant de lâcher du bout des lèvres que « Jacques est en concurrence avec lui-même, c’est dommage ».
Invincibles les frères Frétel ?
Pourtant tout ne va pas de soi. Après trente ans de domination sans partage, le travail accompli est respecté par les pros du secteur mais l’influence des Frétel se fragilise : Jacques est « curieux mais cassant », Patrick est « brillant mais a beaucoup de préjugés ».
Le cinéma indépendant et son mode d’exploitation se sont aussi peu à peu transformés. Or Eric Gouzannet dénonce l’immobilisme des jumeaux :
« Jacques est dans sa bulle et fonctionne comme ça. Il peut parfois demander de ne pas passer tel film car ça passait déjà dans ses salles. Il manque parfois un peu de générosité. Or, l’Arvor et le TNB n’ont pas de visibilité. Le spectateur a évolué dans sa façon de voir un film. Ils ont une vision qu’ils veulent sauvegarder au lieu d’accepter les règles du jeu » explique le directeur, qui pourtant collabore toujours avec les Frétel dans le cadre du Festival Travelling.
Patrick Frétel se sent d’ailleurs à l’étroit dans les deux salles de l’Arvor, et fait du lobbying auprès de la mairie. De nouveaux locaux mis à disposition attireraient à coup sûr un public plus important, plaide t-il. Silence du côté des élus. L’Arvor et le Ciné TNB ne semblent pas être la priorité.
Le sujet est d’autant plus délicat qu’un concurrent sérieux ambitionne de s’implanter à Rennes. Des consultations entre la Ville et le réseau indépendant Utopia à l’été 2010 ne sont arrivées aux oreilles des Frétel qu’en décembre, déclenchant les foudres des jumeaux, blessés de ne pas avoir été avertis par la mairie :
Officiellement c’est « dommageable ». Dans les faits, on comprend que les deux frères sont furieux et comptent bien mener la contre-offensive dans les semaines à venir. L’arrivée d’un « grand » de l’Art et Essai pourrait en effet faire des dégâts. A 59 ans, les Frétel pourraient être progressivement poussés vers la sortie. Victimes de leur méthode ?
Antoine Lagadec